jeudi 2 octobre 2014

Miranda Hodgson : "je suis devenue nonne bouddhiste zen"



Depuis son enfance, Miranda Hodgson est une athée convaincue, mais lorsqu’elle commence la pratique du yoga et de la méditation, sa vie prend un tournant inattendu. Onze ans plus tôt, je vivais à New York, et je travaillais comme administratrice des arts pour le Carnegie Hall. J’étais ambitieuse et résolue, mais je sentais que quelque chose manquait à ma vie, et je ne pouvais expliquer ce dont il s’agissait. Ma famille était de Londres, mais s’était installé aux USA lorsque mes deux frères aînés et moi étions très jeunes, afin que mon père puisse poursuivre sa carrière de chirurgien. Nous étions issus d’une classe moyenne aisée, et il était convenu que nous aussi, mènerions de brillantes carrières, nous marierions, et à notre tour, aurions nos propres enfants porteurs du même succès. Mon père était un athée de la veine de Richard Dawkins ou Karl Marx, pour qui la religion était simplement un mécanisme d’oppression politique et sociale. Bien que ma mère n’ait jamais contredit cela, elle semblait quelque peu bouleversée lorsque, occasionnellement, je niais l’existence de Dieu. J’étais aussi athée. Adolescente, j’ai refusé d’être confirmée.

 J’étais passionnée d’écriture, de littérature, et de langues, et j’étais également bonne en sport et en musique – une complète réussite classique. Cependant, l’attitude compétitive qu’on m’encourageait à avoir, couplée à ma personnalité plutôt introvertie, ne m’attira que peu d’amis proches. En plus, être anglaise ne me facilita pas l’intégration à la culture américaine. Enfin, lorsque j’ai eu 18 ans, j’ai pu fuir les limites de la banlieue en allant à Harvard pour y poursuivre des études d'Anglais. J’adorais cela - étudier, écrire, et diriger une compagnie de danse moderne. Je commençai à découvrir qui j’étais, et même si je manquais de la confiance que semblaient avoir tant de mes camarades, je commençai peu à peu, à sortir de ma coquille. J’avais même un petit ami – un jeune homme naturel, charmant d’un an mon aîné, qui était passionné de théâtre. Il était chrétien pratiquant, mais cela ne posait pas trop de problèmes, tant que nous ne nous disions pas à quel point la croyance de l’autre était complètement illusoire et fausse. Cette relation prit finalement fin mais, après avoir obtenu mon diplôme et accepté un poste au Carnegie Hall, je commençai à m’avouer que je ne trouvais plus adéquate la domination de mon athéisme agressif sur ma vie. Il m’était toujours impossible de croire en Dieu, mais je devins peu à peu consciente qu’il y avait d’autres approches, non théistes de la spiritualité dans la vie. Je commençai le hatha yoga, et fut ensuite introduite à la méditation zen par un collègue. J’eus un déclic, quittai mon poste et retournai en Angleterre pour reprendre des études à Oxford. Je continuais à pratiquer avec un groupe local affilié à l’Association du Zen International, basé en France. 

Ayant vécu précédemment une vie orientée sur les objectifs et le succès, m’asseoir en méditation et simplement observer mon état d’être était une nouvelle expérience. Alors que j’examinais mes idéaux, en particulier la validation que je recherchais à travers un travail difficile et acharné, je les trouvai vides, un à un, ils s’évanouissaient. Je réalisai qu’il y avait des choses plus importantes qu’escalader l’échelle de la carrière à n’importe quel prix. Bien que ce fût une expérience libératrice, ce fut aussi incroyablement effrayant à cette époque. Je devais revoir mon approche de la vie, et ce faisant, admettre que, selon mes anciens standards, je me sentais en échec. Au lieu d’avoir un travail bien payé, suivi d’un mariage, une maison et des enfants, j’étais en lutte pour joindre les deux bouts alors que je m’efforçais de mener une existence d’enseignante non diplomée, et de finir mon doctorat en même temps. Puis, alors que cinq années de travail intense arrivaient à leur fin, mes superviseurs décidèrent qu’ils ne voulaient plus m’aider avec les révisions recommandées par les examinateurs, j’ai donc dû passer à autre chose. Sans doctorat, la carrière académique pour laquelle j’avais travaillée était impossible. Après avoir vécu toute une palette d’émotions, être devenue physiquement malade, je décidai d’utiliser l’expérience d’enseignement que j’avais eu à l’université pour aller dans l’enseignement du secondaire. Je continuai de méditer avec le groupe zen et de participer aux sesshins (retraites) à la fois au Royaume Uni et en France. 

En France, j’ai rencontré un maître zen (un pratiquant qui a reçu la permission d’enseigner), et sous sa direction, je fis l’engagement formel de suivre la Voie du zen. Contrairement au Japon, où les moines et nonnes zen sont soutenus par l’Etat, les Européens qui font cet engagement continuent de vivre et travailler dans la société comme ils le faisaient auparavant. Pour moi, la décision de demander l’ordination de nonne vint naturellement. Cela m’a juste semblé être la chose juste à faire ; cela était logique. La vie commençait à se dérouler naturellement. La cérémonie eut lieu dans le petit dojo (hall de méditation) de mon maître près de Tours, en France, lors d’une belle matinée d’été l’année dernière. J’ai reçu un kolomo (un kimono doté de très longues manches) noir à porter sur mon kimono blanc, ainsi qu’un kesa (un rectangle de tissu drapant le corps et l’épaule gauche en méditation) noir et le rakusu (un kesa miniature en forme de petit tablier) que j’avais cousu moi-même. On m’a donné un document traçant ma lignée à partir du Bouddha Shakyamuni, un bol pour mes repas, et un nom de nonne qui ne serait utilisé qu’après ma mort. Je pleurais durant la cérémonie, mais l’air de mon visage sur la photo officielle en dit long : assise près de mon maître je parais émotive, presque bouleversée, mais soulagée et heureuse. 

Près d’un an est passé depuis lors et les réactions des gens à mon ordination ont été variées. Ma mère se montra curieuse et un soutien, alors que mon père n'en a pas parlé ; je n’ai aucune idée de son opinion, à part qu’il ne me désapprouve pas. Je pense qu’il voit que je suis plus heureuse à présent, ce qui lui suffit. Parce que je suis maintenant enseignante, que je ne me rase pas le crâne et ne porte le kolomo et le kesa seulement pour la méditation, je ne parais pas différente des passants que vous voyez dans la rue. Lorsque la plupart des gens entendent le mot nonne, ils pensent aux nonnes catholiques. 

Très souvent, leur première question concerne le pourquoi de l’abandon définitif de l’acte sexuel. Formulé de cette manière, le sexe est similaire à la cigarette ou la boisson : un acte d’auto gratification de consommation de plaisir. Si une personne comprend le sexe d’une manière si égoïste, et dépourvue d’amour, alors je suppose que oui, j’ai « renoncé ». L’un des vœux que j’ai faits quand j’ai été ordonnée, a trait au sexe, et stipule qu’on ne doit pas utiliser sa sexualité d’une manière offensante. Ce n’est pas ce que l’on fait toutefois, mais la manière dont on le fait : utiliser quelqu’un comme une marchandise pour sa propre satisfaction est très offensant considéré sous cet éclairage. Peu après mon ordination, j’ai rencontré un homme avec qui je partage maintenant une relation basée sur la confiance et le respect mutuel. 

Nombre de mes étudiants adolescents savent que je suis nonne, et leurs réactions me fascinent. Ils sont ouvertement curieux de ce que signifie être bouddhiste, et nonne et bien sûr, me questionner dessus prend beaucoup de temps sur les leçons. Une question qui revient assez souvent est si je crois en Dieu, mais je ne suis pas sûre qu’ils comprendraient si je leur disais que l’idée d’un dieu abrahamique n’a pas sa place dans le bouddhisme. D’autres fois, ils me demandent comment je médite. Ils placent leurs mains dans ce qu’ils pensent être une position yogique, ferment les yeux dans un : «Ohmmm ». Je trouve leurs idées préconçues amusantes, et ils ne veulent pas me croire lorsque je leur dis la vérité : que nous nous asseyons en silence et ne bougeons pas ni n’émettons un son, et ce jusqu’à six fois par jour. Je pense qu’il doit être plutôt étrange pour eux de se trouver face à quelqu’un qui a pris un engagement religieux si fort. Quelques uns supposent que je vis comme une puritaine, et sont surpris quand je leur dis que je bois de l’alcool et mange de la viande. « Suivre la Voie du bouddhisme zen est simple, mais pas facile » Mon statut de nonne favorise un dialogue entre mes étudiants et moi mais je pense parfois qu’il nous sépare. De nos jours, les étudiants pensent que pour réussir dans la vie, ils doivent s’efforcer d’obtenir de bons résultats, sans se soucier de savoir si l’apprentissage académique est bon pour eux. 

Je me sens triste face au stress que ressentent mes étudiants lors des examens, et je me souviens de ces mots d’un maître zen qui disait qu’ « être adéquate » est suffisant dans la vie. Après mon ordination, mon maître me dit que l’année suivante, mon karma bougerait plus vite, et je me vis faire quelques changements dans ma vie, en particulier en terme de trajectoire de carrière. Je trouve l’équilibre, au fur et à mesure. Un dicton dit que suivre la Voie du bouddhisme zen est simple, mais pas facile. Cela demande un effort qu’il faut renouveler chaque jour. Lorsque les choses commencent à être oppressantes, je me souviens du poème écrit à l’encre noire sur la soie blanche qui borde mon rakusu : « Avec mon kesa et mon crâne rasé, je suis libre ». La simple vérité de ces mots m’inspireront, je l’espère, toujours. 

 Source : Article paru dans Le Guardian - traduit par Buddha Channel

lundi 28 juillet 2014

Sharon Salzberg : Le dessein fondamental de la méditation, c'est le Nirvana



Le dessein fondamental de la méditation, c'est la libération parfaite, ou nirvana. Le nirvana n'est pas notre état conditionné habituel, dans lequel nous semblons être le percevant isolé d'objets «extérieurs», qui apparaissent et disparaissent continuellement. L'expérience intérieure du nirvana est incompréhensible et inexprimable ; aussi ne le décrit-on traditionnellement que négativement : «non-né», «non-créé», «non-conditionné». Il m'arriva de projeter d'écrire un livre sur le nirvana, et une amie me taquina à ce sujet : «Alors, tu vas essayer de faire la fable de l'ineffable !» Mais s'il semble impossible de parler du nirvana, il n'est pas impossible de l'atteindre; aussi allons-nous essayer de le «décrire».

En parlant du nirvana, le Bouddha a dit : «O moines, il y a le non-né et l'inconditionné. Les quatre éléments, la terre, l'air, l'eau, et le feu, en sont absents. Les notions de longueur et de largeur, de subtil et de grossier, de bon et de mauvais, de nom et de forme, sont toutes détruites. Ni ce monde ni l'autre, ni l'allée, la venue, l'état, ni la mort ou la naissance, ni les objets des sens, ne s'y trouvent.» Littéralement, nirvana signifie «extinction» - comme une chandelle que l'on souffle. Faire l'expérience du nirvana, cela signifie que notre séparativité et notre souffrance sont «éteintes».

Le nirvana n'est pas un état que l'on connaît au moyen des sens. Tant qu'il y a un sujet qui connaît, et un objet qui est connu, il y a changement et conditionnalité. Le nirvana est immuable. Il ne peut finir, car il n'a pas commencé. Ce n'est pas réellement une «expérience», au sens commun du terme.

La paix et la félicité que l'on trouve dans le nirvana n'ont rien à voir avec la sorte plus familière de bonheur que l'on cherche au moyen des sens. Le bonheur découvert dans le nirvana est indépendant de tout objet dont nous pourrions faire l'expérience, ou de toute pensée que nous pourrions avoir. À cause de notre conditionnement dans cette culture matérialiste, il peut sembler difficile d'imaginer un bonheur qui ne soit pas en rapport avec une expérience ou une sensation particulières. 

Mon maître Munindra aimait à dire : «Il n'y a pas de pizza dans le nirvana ; est-ce que cela vous intéresse encore?» C'est une bonne question. Dans notre société, nous sommes incités à vouloir ceci ou cela. Mais quoi que nous obtenions, ce n'est pas suffisant, parce que ça ne dure pas. Aussi, la recherche de nouvelles conditions continue encore et encore. Nous cherchons de nouvelles expériences intellectuelles, de nouvelles expériences sexuelles, et de nouvelles expériences spirituelles. On est même prêt à détruire son corps, son mental, ses relations avec ceux qu'on aime - à détruire sa vie - pour quelque expérience.

Même si quelque chose d'agréable pouvait être durable, nous ne pourrions supporter d'en jouir encore et encore. Qui pourrait regarder le même film, sans cesse, sans souhaiter de répit? Qui pourrait écouter un son ravissant qui ne cesserait pas? Mais quand nous cherchons le repos d'une expérience, nous le faisons en en cherchant une autre. Le Bouddha a enseigné que le seul repos de cet ennui, de cette pression constants du changement, c'est le nirvana.../


En méditation, nous percevons la non-essentialité et l'impermanence de tout ce en quoi consiste l'existence - et nous ressentons vivement l'insécurité que cela implique. Nous sommes aussi exaltés, admiratifs, devant le caractère merveilleux de l'existence, voyant véritablement quel miracle c'est. Ayant éprouvé l'exaltation et l'insécurité, le mental s'établit dans un état d'équanimité et de stabilité. Dans cet état d'équilibre parfait, il n'y a rien vers quoi incliner, pour anticiper l'avenir, pas d'avidité, pas la moindre impulsion envers quelque chose «d'autre». Il y a juste être. C'est ici que l'ouverture silencieuse, muette, du nirvana, se produit. 

La réalisation du nirvana n'est pas une fantaisie ou une réalisation mystérieuse que nous admirons de loin parce que le Bouddha l'a eue, en un lieu lointain, il y a bien longtemps. C'est aussi notre réalisation. Le fait même que le Bouddha fut un être humain, nous montre qu'il nous est tous possible d'être libres. Cette possibilité est sous-jacente, à chaque instant de notre vie.

Extrait de : Un Coeur vaste comme le Monde









lundi 30 juin 2014

Danièle Masset a traduit du pali en français le Therigâta ; les stances des nonnes éveillées au temps du Bouddha


Danièle Masset a publié une nouvelle traduction du Therigata, elle est reçue par Sagesses Bouddhistes pour évoquer dans cette première partie les femmes à l'époque du Bouddha :




Deuxième partie : Sagesses Bouddhistes reçoit Danielle Masset, traductrice du Thérigata, du pali en français, Cet ouvrage a transmis les témoignages d'éveil des premières femmes remarquables du temps du Bouddha





dimanche 25 mai 2014

La Non Violence en action à l'école - Témoignage -

 

La non-violence avec les tout-petits

 
Un témoignage dans la revue

Ici et Maintenant (enseignement du vénérable Thich Nhat Hanh)

par Lily ChanTuTieu


- Il a pris notre ballon!

– Ils ne veulent pas que je joue avec eux!

- Il m'a envoyé une boule de neige!

- C’est lui qui a commencé!

- Elle imite tout ce que je fais! - C est pas vrai!

- Il est passé devant moi !

- J’étais là avant!

- Oui, mais tu es parti !

- Je voulais jeter mon kleenex dans la poubelle!

- Elle dit des secrets ! Elle parle de moi!

- Non!

- Oui, je l'ai vue donner un petit papier à Julie.

- C’était pas sur toi!

- Il a fait tomber notre pyramide!

- J’ai pas fait exprès!

- Oui!

- Non ! Cest Danny qui m'a poussé !

Sept ans. Ces bisbilles fusent parfois pendant la journée, en classe ou en récréation. Première réaction "avant Pleine Conscience":

- Ça suffit! Va travailler! Ne recommence pas ! Tiens-toi tranquille ! Arrêtez ! Vous allez perdre votre récré !

Mais c'est comme jeter une goutte d'eau dans la mer !.. Aussitôt dit, aussitôt oublié! On recommence le lendemain!

**** La cloche ***


Si les grandes personnes sont capables d'arrêter au son de la cloche pour revenir à leur respiration, si les grandes personnes sont capables d’être "conscients de la souffrance causée par..." , pourquoi pas les enfants ? Surtout les enfants ! La non-violence, le regard sur les autres, la sensibilisation "à", ça commence avec les tout-petits.

On leur apprend à fermer la bouche en mangeant, à tenir la fourchette avec la main gauche, le couteau avec la main droite, à poser la serviette sur les genoux, à ne pas renifler.. Leur dit-on aussi à quel point c'est bon de respirer, de bien respirer et de le savoir? Comment une inspiration et une expiration profondes calment et tranquillisent ? « J'inspire et je sais que j'inspire.. » Faisons-le ensemble...

J'ai commencé avec une de ces cloches, classiques, comme on voit tant, la secouant de temps en temps, guettant l'attention des enfants, leur silence, le calme dans la classe.. Jusqu'à ce qu'un jour, au lendemain d'une retraite :

- « Vous savez quoi les enfants ? Regardez ce que j'ai apporté! » Et je brandis fièrement une cloche toute neuve sur son coussinet. Solennellement, je l'éveille, puis l'invite. Doux, très doux.. Les élèves ne peuvent pas ne pas s'arrêter devant un tel son ! Immédiatement, leur attention est attirée. Leur curiosité aussi. D'abord parce qu'ils n'ont jamais vu une cloche comme celle-ci, ensuite parce que.. c'est tout simplement doux à entendre.

Ils se taisent.

Heureuse et pas peu fière de cette réussite, je lance la phrase tonnerre: "Voulez-vous essayer?" Quelle question! Au diable les maths et le français… Ce cours de cloche vaut bien tout le curriculum de deuxième année ! (et devrait d'ailleurs faire partie du programme du Ministère !) Un à un, j'initie les enfants à l'art de sonner la petite cloche : "D'abord tu l'éveilles, pour nous avertir… et pour ne pas nous faire sursauter. Puis tu l'invites. Comme ça... Pas si fort… Doucement... Les doigts ne touchent pas la cloche, sinon le son ne sort pas. ("Le son et l'effet de l'air sur la résonnance" fait d'ailleurs partie du programme de sciences et la cloche servira de parfait exemple!) Un jeu? Soit. Les élèves sont ravis. Moi aussi !

Cela fait huit ans que la petite cloche résonne dans la classe, toutes les cinq minutes. Toutes les cinq minutes, tous les regards se lèvent. On respire (parfois bruyamment !) Et on sourit. Mais oui, Lily s'arrête aussi. ElIe pose son crayon, comme tout le monde. Et c'est drôlement bon ! « J'inspire, je me calme. J'expire, je souris. » La cloche nous calme, diminue le stress, l'angoisse devant le travail, la difficulté. Les enfants sont rassurés: il n'y a pas de compétition dans la classe. On fait UNE chose à la fois. Chacun à son rythme.

*** L'attention ****


Et comment parler de concentration à des tout-petits ? J'écris le mot au tableau.

- Quel petit mot y-a-t-il dans concentration? Les élèves sont anglophones, en immersion française. Mais ils trouvent sans peine la réponse: centre!

- Oui, centre. Il y a aussi le petit mot "con" qui veut dire avec. Avec - le centre. Je dessine un grand cercle. Des petits bonhommes tout autour, des papillons.. Quand on n'est pas concentré, on est là, un peu partout autour du cercle… On vole, comme ces papillons…

Mais quand on est concentré, on est LA, bien au centre.

Le centre, c'est chez toi. Ton coeur, ta personne, ton corps. Tu n'es pas ailleurs. Si tu fais Défi-Maths, tu es avec Défi-Maths. Tu ne penses pas à ton hockey, ni à l'ami qui va jouer avec toi après l'école. Le centre, ce petit point, c'est ton abri, ton refuge. C'est quoi, un refuge? S'il pleut, je cherche un refuge. Où?


- Sous un arbre !

- Sous une tente !

- Dans une maison !

- Sous un parapluie !

Et que fait-on si on a envie d'être seul, parfois ? Quand on veut du silence ?
Quand on veut lire tranquillement ? Quand on n'a pas envie de jouer ?

- On va dans sa chambre !

- Au sous-sol !

- Dans le jardin !

Oui. Ta chambre, le sous-sol, le jardin, c'est comme une île. (je dessine au tableau une grande île, un palmier… ) C'est beau une île… C'est tranquille. Dans mon île, je peux faire ce que je veux : jouer, lire, dessiner, ou tout simplement m'asseoir. Sagement. Sans être dérangé. Si je me fâche avec mon ami, si quelqu'un me fait de la peine, je peux aller dans mon île pour quelques minutes.. Et dans mon île, je ne suis plus fâché.. Je ne suis plus en colère… J'oublie un peu... Je pense à mon ami… Il n'a peut-être pas fait exprés ? Peutêtre était-il fatigué… Peut-être at-il été grondé par ses parents à la maison… Je comprends maintenant… Ça fait du bien d'aller dans son île de temps en temps…

Tu sais, en classe aussi tu peux aller dans ton île… Comment ?

- Je fais "dessin libre."

- Je reste à ma place.

- J'écris dans mon "cahier bleu"…

- Je respire !

- Je sonne la cloche !

*** Mon île à moi ***


Chaque enfant dessine l'île qu'il aime sur une feuille qui sera collée sur la première page du "Petit Journal". Et plus tard, nous apprendrons la chanson

« Quand j'inspire, je retourne, dans mon île intérieure, chez moi... »

Parfois, lorsqu'un enfant montre un peu de lassitude durant la journée, il demande :"Est-ce que je peux aller dans mon île?" Nous aimons tous aller dans notre île. Quand la classe devient trop bruyante, surtout en fin d'après-midi, c'est moi qui leur dis: "Vous savez, il y a vraiment trop de bruit dans la classe.. Je vais aller dans mon île pour quelques minutes..." Je demande à l'enfant qui a la cloche de l'inviter, je respire profondément en me calant bien sur ma chaise, je pose les mains sur les genoux, je ferme les yeux et je souris d'aise, consciente de tous ces petits yeux posés sur moi.

Alors, ils se taisent. Une minute, deux minutes qui semblent une éternité... De précieuses minutes d'instant présent où tout s'arrête pour de bon ! Quelques minutes par ci, quelques minutes par là.. Et une journée de classe s'écoule. Entre le bruit et le silence. Des "instants présents"......il y en a tout plein à cet âge !

*** J'arrose mes fleurs ***


Pour résoudre les conflits, si petits soient-ils, nous arrosons les fleurs de notre jardin. Un jardin est dessiné à la grandeur du tableau. Du gazon. Des fleurs en couleurs. Toutes variées.

- Que dois-je faire si je veux que mes belles fleurs poussent ?

- Je leur donne de l'eau.

- De l'air.

- De l'espace.

- I take care of them !

Oui, j'en prends soin. Mais dans un jardin... n'y a-t-il que des fleurs?

- Non. Il y a du gazon.

- Des cailloux !

- Des pissenlits !

- Des chardons. (Ces mots sont dits en anglais)

Est-ce qu'on aime avoir des chardons dans notre jardin ?

- Nooon !

- Qu'est-ce qu'on fait si on n'en veut pas ?

- On les enlève !

- Mais ça pique !

- J'appelle mon Papa !

- On ne les arrose pas !

Exactement ! On ne les arrose pas ! Eh bien, savez-vous les enfants, je suis un jardin aussi. Vous êtes des jardins. Daniel, Julie, Michel.. Chaque personne est un jardin. Dans mon jardin, il y a de belles fleurs. Des fleurs que j’aime. Mais il a aussi des fleurs et des herbes que je n'aime pas vraiment… On appelle ça des mauvaises herbes... Mais oui !..  Quand je suis gentille, c'est une belle fleur ou une mauvaise herbe?

- Une belle fleur !

- Est-ce que je vais l'arroser?

- Oui !!

Et ce serait quoi, une mauvaise herbe?

- Quand on n'écoute pas.

- Quand on ne partage pas !

- Quand on se bagarre !

- Quand on ne joue ensemble !

- Quand on se moque de notre ami !

- Quand on est fâché !

- Quand on fait du bruit en mangeant !

(Bonnes qualités et bonnes manières se mêlent un peu... )

Sur un autre tableau, sont collées d'immenses fleurs, portant les noms "Amitié. Amour. Tolérance. Partage, Politesse. Bonnes manières, Charité, etc, D'autres plus petites "Colère, Égoisme, Agressivité, Bouderie..."

Lorsque l'amitié règne en classe, la fleur amitié monte.

Lorsque la mauvaise humeur s'allume, la fleur-colère ou agressivité monte à son tour.. Au dessus de ce beau jardin, un grand arrosoir, avec des filets d'eau en papier cellophane bleu.

Chaque enfant a décoré également un petit "pot de fleurs" en carton, qui porte son nom. Quelquefois, de façon improvisée, nous échangeons nos petits pots pour y "planter de bonnes graines" ou arroser nos belles fleurs: en y mettant un beau dessin, un mot gentil..etc... Façon radicale de résoudre les différents : si un semblant de querelle surgit, les enfants sont invités à échanger leurs pots et à "arroser" leur jardin. 


Si je veux être une bonne personne, je m'entraîne!
1. Je sais que, si quelqu'un me fait mal, j'ai de la peine. Alors, je vais essayer de ne faire de mal à personne. Et, si je vois quelqu'un faire du mal à une autre personne, je vais essayer de l'arrêter.
2. Je sais que si quelqu'un prend quelque chose sans ma permission, ça me fait de la peine. Alors, je vais essayer de ne jamais prendre quelque chose qui ne m'appartient pas.
3. Je sais que si quelqu'un me dit une parole méchante, ça me fait de la peine. Alors, je vais essayer de dire toujours des paroles gentilles qui font du bien.
4. Je sais que si quelqu'un ne me dit pas la vérité, ça me fait de la peine. Alors, je vais essayer de ne jamais dire de mensonges.
5. Je sais que si quelqu'un se bagarre avec moi, ça me fait de la peine; Alors, je vais essayer de ne jamais me bagarrer.
6. Je sais que si je vois des films violents au cinéma ou à la télévision, ça me fait du mal. Alors, je vais essayer de ne pas voir des films violents ou des films qui ne sont pas de mon âge.


*** Les ...Six Entraînements à la Pleine Conscience ***


Plus tard dans l'année, nous aborderons les Entraînements à la Pleine Conscience adaptés pour les tout-petits et appelés "Si je veux être une bonne personne, je m'entraîne." Chaque entraînement fera le sujet d'une discussion de groupe hebdomadaire, où tout le monde, assis sur le tapis, est invité à parler de son expérience personnelle, dans l'écoute attentive et le respect mutuel. "Chacun son tour." Discussion du dharma en miniature. Mais ô combien enrichissante!

*** La méditation des cailloux. ou des coquillages ***


Cette semaine, nous allons tous être des fleurs.. C'est comment, une fleur? Est-ce que c'est bien, être une fleur? Pourquoi c'est bien?

Cette semaine, nous serons une montagne.

Cette semaine, nous serons la terre...

Chaque élément est amplement discuté, illustré, mimé...... Nous ramassons de beaux cailloux dans la cour ou dans notre jardin et les peignons. Ou nous utilisons des coquillages ramassés durant l'été.

Enseigner la non-violence en classe, c'est remettre entre les mains des enfants une petite cloche et les inviter à la sonner à tour de rôle. En faire leur responsabilité. Ils adorent ça. C'est poser son crayon, fermer les yeux, inspirer, expirer, sentir son petit coeur battre, ses poumons s'emplir d'air, parler, échanger, nommer toutes les activités de la journée au fur et à mesure qu'elles se déroulent, aborder les choses qui dérangent, ne pas craindre de mettre de côté maths ou grammaire durant tout un après-midi, lâcher le programme "officiel", abandonner les pupitres, s'asseoir en cercle sur le tapis et plonger dans "autre chose", colorier, dessiner, raconter, marcher en file indienne lentement autour des pupitres ou dans le couloir, vers le gymnase ou la bibliothèque, faire de la relaxation totale sous les tables (sur des tapis..), demander spontanément aux enfants: "Qu'est-ce qu'on est en train de faire maintenant?" Comment te sens-tu en ce moment?"

Il y a une petite boîte aux lettres dans la classe: "Écris à Lily si tu veux". Je reçois des petits mots auxquels je réponds, par écrit, avec un petit dessin. L'enfant sait qu'il est écouté, qu'il n'est pas un numéro dans le groupe. Il sait que je vais prendre au sérieux sa plainte, son mal de ventre. S'il s'agit d'une chicane en récréation (si un enfant est mis à l'écart par les autres), nous allons tous sur le tapis. Et on en parle aussitôt. Sans désigner personne. La conversation est doucement dirigée vers le problème du jour.. L'acceptation par exemple. S'il s'agit d'un mal de ventre.. on va aussi sur le tapis,  sur un petit tapis de relaxation, avec une couverture autour de la taille (un de ces petits carrés en doux polaire). Pour les mains gelées, nous avons un tout petit chauffage électrique. Les chaussettes et les gants mouillés sèchent sur la plinthe chauffante contre le mur.. Jusqu'à la prochaine sortie. Pour les -30 degrés,. du chocolat chaud surprise! .....ça change avec l'odeur des livres et des cahiers..

Un jour à la fois, une récré à la fois.. L'instant présent est pris en charge.. à l'instant même. Sinon… ce n'est plus l'instant présent ! Rien n'est accumulé. Alors, la vie en classe et dans l'école devient plus légère. Les crampes de la rentrée et du lendemain s'estompent vite et finissent par disparaître.

Aujourd'hui, c'est le jour d'aujourd'hui, dirait Thây. C'est rassurant! L'instant présent ne fait pas peur.

La cloche a perdu aujourd'hui tout son lustre.. Mais qu'importe.. .

Lily ChanTuTieu enseigne dans une école d'immersion française à Dollard-des-Ormeaux, banlieue de Montréal, à des enfants anglophones de 7 ans, en 2ème année. 
Source Bouddhisme au féminin n°4

jeudi 15 mai 2014

Priscilla Telmon : Dans les pas d'Alexandra David-Neel

Priscilla Telmon s'est aventurée dans les pas de Alexandra David Neel sur la route de Lhassa, et plus loin encore. Elle est reçue par Leili Anvar et Frédéric Lenoir dans les Racines du Ciel le dimanche matin sur France culture. Une vidéo réalisée par Bouddhisme au féminin pour mettre en ligne leurs propos.


dimanche 16 mars 2014

Aoyama Roshi : Interview

Interview de Shundo Aoyama Roshi dans Actualités des religions n° 40 juillet août 2002  (devenu le Monde des Religions)

 


Elle est l'abbesse d'un des trois noviciats féminins pour les nonnes de l'école Sôtô du zen au Japon. Elle prône un retour aux sources , à la pureté de l'esprit de Dôgen, moine du XIIIème siècle, réformateur et créateur de l'école.

Interview menée par Jean Pierre Denis, notre envoyé spécial à Nagoya

Une ruelle tranquille, dans un quartier cossu de Nagoya, grande ville japonaise située à mi-chemin de Tokyo et de Kyoto. Une atmophère nette, raffinée, soignée dans les mille et un détails de son dépouillement. Aichi Senmon Nisôdô, l'un des trois noviciats féminins pour les nonnes de l'école sôtô du zen, fondé en 1904 pour redonner aux femmes un égal accès à la connaissance dans cette branche du bouddhisme japonais. Dans les coulisses, respectant un silence absolu, les cuisinières s'activent. Quelques visages occidentaux se profilent. Les fenêtres de papier du salon d'honneur coulissent pour laisser entrer discrètement, par le côté, la lumière d'un jardin de modestes proportions, mais d'un parfait équilibre: arbres taillés, buissons en harmonie, volumes accordés.
C'est ici que se réinvente, avec une grande exigence, le zen au féminin selon l'esprit de Dôgen, sous la houlette d'une maîtresse femme, Shundô Aoyama, soixante-neuf ans. L'abbesse fait son entrée dans le shoin, la pièce d'honneur. Inclinations. Politesses millimétrées. Rites de bienvenue, le thé de la cérémonie du thé, dans un ballet feutré de nonnes, trois fraises offertes comme un trésor, des gestes d'une hospitalité mesurée mais absolue. Wa, kei, sei, jaku... les quatre vertus de la cérémonie du thé.  L'harmonie, le respect, la pureté, la sérénité semblent devoir s'incarner ici.
Crâne rasé, lunettes sans apprêt, visage bienveillant à la peau juvénile, présence immobile de l'abbesse. Shundô Aoyama est une personnalité charismatique, très connue au Japon à travers ses chroniques dans un grand hebdomadaire féminin, ses apparitions télévisuelles, ses très nombreuses conférences, ses livres et sa lutte discrète pour la restauration d'un zen authentique.
A cinq ans, sa mère, qui la considère comme un don du Bouddha, la fait rentrer dans le monastère que dirige sa tante: A dix-sept ans, elle est ordonnée, part étudier, découvre une certaine corruption monastique qui la choque.  Dès 1970, à trente-sept ans, elle devient abbesse à Nagoya, incarnant la nouvelle génération du zen au féminin, enfin reconnue sur un pied d'égalité après un siècle de lutte contre le machisme monastique.

Dans l'avion qui me menait vers le Japon, je discutais avec une jeune femme qui allait se marier selon les rites bouddhistes de l'école Sôtô en usage dans sa famille. Mais elle se montra fort surprise que je vienne ici pour étudier le zen. Je me suis donc plongé dans les statistiques: à peine 3 % des Japonais déclarent s'intéresser vraiment aux religions...
Cela dépend d'abord de ce que l'on entend par religion. Au Japon, les nouvelles religions ou les simples superstitions prolifèrent. Au sein même du bouddhisme, il existe de très nombreuses écoles. Du coup, les gens sont perdus, et ils ne voient plus que le mauvais côté des traditions religieuses. Il faut s'efforcer de restaurer un bouddhisme authentique.


Un bouddhisme authentique... mais le bouddhisme est pluriel, depuis toujours !
Ma conception de la religion, et pas seulement du bouddhisme, repose sur une conviction assez simple il existe une seule vérité originelle. Avant que l'être humain ne la découvre, la vérité est présente. Elle est là. Elle existait des milliards d'années avant la Terre.

Vous avez participé au dialogue intermonastique dès 1979, et accueilli des bénédictines dans ce même temple. Partagez-vous avec elles cette unique vérité?
Depuis que l'être humain est apparu, chaque civilisation s'est efforcée de mettre un nom, un nom forcément différent, sur cette vérité unique. L'histoire de la planète court sur 4,5 milliards d'années. L'histoire humaine se résume à quelques centaines de milliers d'années, et la culture proprement dite à quelques milliers d'années, sur lesquels nos trois grandes religions n'occupent qu une assez courte période le bouddhisme n'a que 2 500 ans, le christianisme 2 000, l'islam à peine 1500.
Considérons ces 4,5 milliards d'années comme s'il s'agissait de 365 jours. L'être humain est apparu vers la fin de l'année. Et les trois grandes religions au soir du dernier jour. Cela leur laisse bien peu d'ancienneté Tout ce que nous pouvons dire, modestement, est que la vérité selon le Bouddha Sakyamuni est devenue le bouddhisme, la vérité de Jésus a donné le christianisme, et que l'islam est né de la vérité selon Mahomet. Nous sommes de toutes petites choses, et nous pensons à la grande vérité selon nos minuscules chemins. C'est à partir d'une très modeste perception que nous avons créé nos trois grandes religions.Le plus important est donc ailleurs, d'abord dans le fait que les gens cherchent la vérité et lui donnent un nom en fonction de leur propre expérience. Ils l'appelleront ainsi « enseignement du Bouddha », «enseignement du Christ » ou «enseignement de Mahomet ». Mais surtout, que nous sachions la découvrir ou pas, la vérité pré-existe. Elle est unique. Tout le monde le pressent d'ailleurs, quoique personne ne voie autre chose qu'un simple aspect de cette vérité unique.

Les nouvelles religions, les sectes qui se développent au Japon depuis l'époque Meiji (XIXe siècle) et surtout depuis la Seconde Guerre mondiale participent-elles à cette vérité?
Il est bien naturel qu'au fil de l'histoire humaine de nouvelles formes de vie religieuse se développent. Depuis la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses religions sont en effet apparues au Japon. Mais une grande partie d'entre elles ont déjà disparu. Celles dont les enseignements sont mauvais disparaîtront à leur tour, elles s'effaceront d'elles-mêmes. Le vrai enseignement se mesure à l'échelle du temps. Les enseignements du Bouddha n'ont traversé que deux mille cinq cents ans, mais ils ont déjà traversé deux mille cinq cents ans ; cela souligne la vérité qui leur est inhérente.

Au Japon, sur les 14 000 temples affiliés à l'école Sôtô, 10 % seulement disposeraient d'une salle de méditation digne de ce nom. Chez les hommes, la plus grande partie des moines sont mariés, et gèrent leur temple de père en fils. Le zen n'est-il pas entré en décadence?
La pratique s'adapte à son environnement, exactement comme la cuisine s'adapte aux variations climatiques ! La question qui se pose à nous est donc de savoir comment pratiquer la religion ici et maintenant. Au fil des ans, l'énergie originelle des religions s'affaiblit. Il n'est donc pas étonnant que de nombreux fidèles ne voient plus que le mauvais visage des grandes Traditions, et qu'ils le déplorent. Pourtant, cette même recherche de la vérité inhérente à la nature humaine les pousse à trouver de nouvelles formes d'expérience. Ils cherchent la vérité ? A nous de savoir la leur montrer.

Récemment, un taxi me ramenait de la gare de Nagoya au monastère. Le chauffeur était intrigué en me voyant :
«
Etes-vous nonne ?»
Oui, lui ai-je répondu,
mais ce n'est pas un métier, un gagne-pain.
Chaque être humain recherche un idéal de vie. Moi aussi, je cherche la meilleure manière de vivre. Et c'est pour cela que je suis devenue nonne.» Le chauffeur m'a alors apostrophée : « Je ne crois pas dans les inventions du bouddhisme, je déteste cette religion, qui est une simple invention humaine. »

Je lui ai simplement répondu que la religion provient de l'effort humain, de cet effort de recherche de la vérité. Le bouddhisme, en effet, provient de l'expérience humaine.
«
Justement, m'a confié de conducteur du taxi, mon père est chef de temple à Hokkaido, dans le nord du pays. »
Mais si les pères ne vivent pas dans la vérité, comment leurs enfants peuvent-ils la découvrir?


Faut-il alors réformer le zen, le rajeunir?
Avant la mort du Bouddha, un de ses disciples lui a demandé comment seraient les bouddhistes, dans le futur. Bouddha lui a répondu qu'il y aurait quatre sortes de personnes : celles qui sont capables à la fois de pratiquer et d'enseigner, celles qui savent expliquer la voie, celles qui ne peuvent que pratiquer et celles qui obscurciraient la voie. A nous de nous demander et pas de demander aux autres, auquel de ces quatre types de bouddhisme nous nous rattachons. Quand nous regardons le bouddhisme japonais, je préfère ne pas en parler... Beaucoup n'ont recours au bouddhisme que pour satisfaire leurs propres fins. Comme des enfants. Peu de moines vivent vraiment le bouddhisme. Alors, comment le grand public pourrait-il comprendre ce que sont vraiment les enseignements du Bouddha ? Certains moines doivent comprendre qu'en détruisant le bouddhisme authentique ils se détruisent eux-mêmes. Nous devons nous efforcer de faire jaillir le bouddhisme de nous-mêmes, utiliser les outils du bouddhisme pour que la vérité sorte de nous-mêmes. 


L'histoire du bouddhisme, et celle du chan, puis du zen, est celle d'un long déplacement vers l'Est. Disparu de l'Inde, il a survécu en Chine. Quasiment effacé en Chine, il s'est transmis au Japon. Depuis une trentaine d'années, il a franchi le Pacifique, et se répand aux Etats-Unis. En Europe même, il prospère. Un grand maître comme Moriyama Roshi a décidé de s'exiler au Brésil. Comment voyez-vous cette nouvelle migration de la méditation ?
Que le zen soit pratiqué au Japon ou en Occident m'est parfaitement égal. La vérité ne dépend pas du lieu ou elle est pratiquée. Nous devons apprendre les uns des autres. Cela dit, au Japon aussi, nombreuses sont les personnes qui recherchent la vérité. Hier une soixantaine de laïcs de tout le Japon sont venus ici même, pour participer à une seshin, une session de méditation. Beaucoup cherchent. Mais notre bouddhisme n'est pas capable de leur montrer la voie. Le rejet dont le christianisme fait l'objet en Occident, et la désaffection que subit le bouddhisme au Japon s'explique par la longueur de leur histoire. Nous sommes prisonniers de cette histoire qui ne peut que nous plonger dans la confusion.

De nombreux pays bouddhistes refusent aux femmes l'accès à la vie monastique. Au Japon, les nonnes ont longtemps été reléguées au second plan. Et aujourd'hui?
Cette question intéresse beaucoup les Occidentaux, au point que, récemment encore, quelqu'un m'a contactée depuis le Vatican pour avoir des renseignements sur ce point Le Bouddha n'a pas accepté les nonnes toute de suite. Orphelin (sa mère est morte une semaine après sa naissance), il a été élevé par sa tante. Celle-ci était âgée d'environ quatre-vingts ans quand elle lui a demandé d'accepter qu'elle prononce les voeux religieux. Sa femme lui a présenté la même demande, et de nombreux membres féminins de son entourage ont formulé la même requête. Mais le Bouddha avait peur du désordre que cela pourrait provoquer dans le sangha, la communauté. Jusqu'au moment où Ananda, son principal disciple, a pris la parole et rappelé que sans femmes nous n'existerions pas, et que nous ne pourrions donc pas pratiquer et connaître l'Eveil.
Bouddha a alors accepté que les femmes entrent dans la vie monastique comme les hommes. Mais il a posé huit conditions. Celles-ci font que la pratique est plus exigeante pour les femmes que pour les hommes. Du moins nous semblent-elles ainsi aujourd'hui. Peut-être, dans le contexte de l'époque, avaient-elles pour but de protéger les femmes.Au XIIIème siècle, maître Dôgen a clairement affirmé qu'il n'existe pas de différence entre hommes et femmes du point de vue de la pratique et de l'Eveil. Le problème n'est pas le sexe, mais la compréhension du dharma.
En face d'une femme qui a atteint l'Eveil, un homme doit s'incliner. Le plus important est la lutte que nous devons mener pour comprendre la vérité, hommes comme femmes.

Une femme pourrait-elle être chef de l'école Sôtô?
La hiérarchie, les positions officielles me paraissent bien peu importantes. Les enseignements de  Dogen concernent le dharma et pas l'organisation de notre école, pas nos institutions. L'inégalité entre hommes et femmes dans le bouddhisme japonais jusque dans les années 70 provient de la culture nationale. Elle n'est pas inhérente au Bouddhisme. Au contraire, elle contredit clairement les enseignements de Dogen.


Quand je suis devenue religieuse, les nonnes ne pouvaient être ni chef de temple, ni avoir des disciples, ni enseigner. Ici même, à Nagoya, le temple était placé sous la responsabilité d'un homme. Mais les femmes se sont battues contre ce poids culturel durant un siècle, depuis l'époque Meiji. Aujourd'hui, les femmes sont les meilleurs moines Car, au fil des siècles, les monastères féminins sont restés à l'écart des vicissitudes politiques et des aléas de l'histoire qui ont fait dévier le bouddhisme japonais. Ce statut à part, moins exposé, nous a permis de rester plus fidèles aux enseignements du zen, tel que le prônait maître Dôgen.


Source : Bouddhisme au féminin n° 2


dimanche 2 mars 2014

Tsering Woeser parle de son livre sur l'immolation des tibétains

  Tsering Woeser à Lhassa 


« Les éditions Indigène ont publié le 17 octobre mon nouveau livre sur les immolations par le feu de 126 Tibétains.
C’est mon deuxième ouvrage publié en français. Le premier Mémoire interdite, Témoignages sur la Révolution culturelle au Tibet est paru chez Gallimard en 2010. Mais il y a une différence entre les deux livres : Immolations au Tibet : La honte du monde a été écrit spécialement à la demande des éditions Indigène, ce qui signifie que son premier lecteur est français et j’en éprouve une émotion particulière.
J’ai commencé à écrire ce livre en avril et bien qu’il compte à peine 48 pages, j’y ai consacré deux mois intenses. Je ne connaissais pas auparavant les éditions Indigène, mais grâce aux liens qui nous unissent, j’ai lu Indignez-vous ! livre tout empreint d’un courage et d’une force qui m’ont stimulée. Les éditions Indigène s’inquiètent des immolations des Tibétains, et en particulier du silence de tous alors qu’un si grand nombre de Tibétains perdent leur vie dans les flammes, aussi espèrent-elles grâce à ce livre alerter le monde. Cependant, il n’est pas facile de se faire entendre, on n’y peut rien : 126 Tibétains ont fait l’offrande de leur précieuse vie dans les flammes pour protester, mais quelques soient les langues dans lesquelles il en a été fait le récit et la critique, le résultat a été bien maigre.
En réalité, pendant que j’écrivais ce livre, pendant qu’il était à l’impression, des Tibétains brûlaient encore leur corps pour exprimer leur inflexible opposition, c’est pourquoi je n’ai tenu compte que de 125 immolations dans mon rapport. Je peux donc ici compléter ce cruel constat : suite aux protestations de 2008 qui ont eu lieu sur l’ensemble du haut plateau tibétain et à la féroce répression du gouvernement chinois, un Tibétain s’est immolé en 2009, quatorze Tibétains se sont immolés en 2011, quatre-vingt-six en 2012, et vingt-cinq en 2013.
Dans l’édition française de ce petit livre, je m’efforce de donner une explication à ces immolations successives, j’en donne une analyse poussée et je fais sans détour le procès des responsabilités. Naturellement, mes critiques pointent l’injustice des autorités communistes et les compromissions iniques du reste du monde.
Je rapporte la position du grand artiste et de l’admirable défenseur des Droits Humains qu’est Ai Weiwei : « Le Tibet fait subir un interrogatoire extrêmement sévère à la Chine, aux droits humains de la communauté internationale et aux normes de la justice. Personne ne peut y échapper ni ne peut l’esquiver. Actuellement, le déshonneur et la honte frappent tout le monde. » Les éditions Indigène ont souhaité qu’Ai Weiwei fasse la maquette de la couverture de ce petit livre. Voici ce qu’il m’a répondu lorsque je lui en ai fait la demande : « J’accepte pour les Tibétains de travailler pour ton livre. La signification des immolations, que ce soit d’un point de vue philosophique ou religieux, dépasse toute tentative d’explication ou de discours existants. On considère généralement que les motifs politiques en sont directement la cause… je veux encore essayer… même si je suis conscient qu’il y a de quoi être désespéré. »
La couverture conçue par Ai Weiwei est émouvante : le nom de chacun des immolés y est inscrit en tibétain et, au milieu, figurent de puissantes flammes empreintes de la beauté du don et d’une souffrance tragique. Sa blancheur a la pureté des khata tibétaines, en offrande à tous les immolés. Merci Ai Weiwei ! »

 Tsering Woeser

lundi 17 février 2014

Alexandra David Neel : Anicca ! Tout est impermanent

 
De-Chen Ashram, 25 janvier 1916

Les jeunes garçons sont partis ce matin descendant mon courrier et, cet après-midi, sont arrivés deux lamas qui montaient les courriers précédemment arrivés. Le peignoir que tu m'as envoyé faisait partie du ballot. Je suis enchantée de l'avoir. La douane me réclame Rs 2/4, ce qui fait environ 3,80 frs. Ce n'est pas excessif et je les paie avec plaisir, tout heureuse de retrouver ce chaud vêtement, le pareil n'était guère possible à se procurer dans l'Inde.


De revoir ce kimono m'a causé une certaine émotion. Je me suis instantanément retrouvée rue Abb'el Wahab dans le grand salon, j'allais me mettre au piano, toi tu partais à ton bureau et venais me dire au revoir... Pourquoi ces circonstances, plutôt que d'autres également familières ? Je ne sais. La mémoire des cellules est chose étrange et mystérieuse ! Loin, tout cela, fini... La « belle grosse maison » est à d'autres... Mouchy installé dans un décor qui m'est inconnu. Ah ! je n'ai pas la sotte vanité de me faire plus forte, plus détachée de tout que je ne le suis ; ces souvenirs m'ont serré le cœur et je suis restée là, un long moment, le peignoir entre les mains presque prête à pleurer... Tu diras : c'est ta faute, pourquoi as-tu volontairement tout quitté ? Mais non, très cher ce n'est pas ma faute. D'abord on ne fait rien volontairement.

Je lisais l'autre jour, en tibétain, dans l'histoire de Milarepa, son départ de chez son maître, son Guru comme on dit dans l'Inde. Il est demeuré auprès de lui huit années durant lesquelles il a été initié à toutes les doctrines connues du grand Marpa, un philosophe et un érudit linguiste. Et puis il a eu un rêve, il a vu sa mère morte, la maison paternelle en ruine, sa sœur réduite à la mendicité. Il n'y tient plus, tous ses souvenirs d'enfance longtemps endormis sont réveillés, il veut partir, revoir les siens. Marpa, prophétiquement, lui dit : « C'est bien, pars, mais nous ne nous reverrons jamais. » Le jour du départ arrive. Milarepa vénère jusqu'à l'adoration le maître qu'il quitte. Le long de la route il taxe sa conduite de folie, il veut revenir sur ses pas, il pleure, son cœur est déchiré, mais en même temps il poursuit son chemin. La silhouette de Marpa, au sommet de la montagne jusqu'à laquelle il avait accompagné son disciple favori, se fait plus petite, plus imprécise ; au détour du sentier Milarepa cesse de l'apercevoir et son âme saigne dans toutes les affres d'une agonie morale torturante, mais ses pieds marchent, l'emportent vers son destin en dépit de lui-même...

Milarepa n'était pas un médiocre poète ni un conteur banal. La scène décrite par lui est poignante en dépit de la langue peu sonore, peu vibrante dans laquelle il la narre. Je rêvais en lisant cela... C'est l'éternelle histoire de tous. C'est l'inéluctable destin aussi. On dit : ah ! si je n'étais pas parti, si je n'avais pas ouvert la main et laissé échapper ce qu'elle tenait, si je n'avais pas renoncé ! Eh ! bien, si l'on n'était pas parti, les choses seraient parties, si l'on n'avait pas ouvert la main, ce que l'on y tenait serré, comme le sable fin des dunes, se serait échappé entre nos doigts vainement crispés. Si l'on n'avait pas renoncé, les autres, êtres ou choses, auraient renoncé à nous. L'eau du torrent coule, coule, les mondes tournent, tout se meut, tout passe, tout se transforme ; l'immobilité, la stabilité sont rêves de fous. Anicca ! Sabbe sankhârâ annica, a dit le Bouddha : Tout est impermanent. Il faut se résigner à cette loi ou bien passer au-delà d'elle, mais elle signifie passer au-delà du monde, au-delà de la vie et de la mort, au-delà de l'illusion du « Moi ».
Il y a bien des pensées dans un kimono, n'est-ce pas mon bien cher !


Extrait de Correspondance avec son mari

mardi 28 janvier 2014

Comment trouver le temps de méditer ?

Un enseignement de Dipa Ma : 

 


Je demandai à Nani (Dipa ma) :
"J'ai entendu dire que tu enseignes Vipassana, qu'est-ce que c'est ?"


Elle m'expliqua puis me dit : "Avant j'étais comme toi, je souffrais beaucoup, je sais que tu peux faire en sorte de devenir libre."

Je lui dit : " J'ai tellement de choses à penser avec ma mère et mon fils et m'occuper de de la famille et le travail à la boulangerie. ce n'est pas possible pour moi de pratique ce vipassana."

" Tu crois ? Quand tu penses à ton fils ou à ta mère, penses-y avec une attention consciente ("mindfully"). Quand tu fais ton travail à la maison, fais-le avec une attention consciente. En tant qu'être humain, ce ne sera jamais possible pour toi de résoudre tous tes problèmes. Les choses que tu dois faire dont tu souffres, apporte-y ton attention consciente."

"Mais entre ma boulangerie et ma famille, c'est impossible que je trouve même cinq minutes pour méditer."

"Si tu peux te débrouiller pour trouver cinq minutes par jour, alors fais-le. c'est important de faire ce qu'on peut, si peu que ce soit."

"Je sais que je n'arriverai pas à trouver cinq minutes, c'est impossible !" 

Nani me demanda si je pouvais méditer avec elle, de temps à autre, pour cinq minutes. Aussi je m'assis avec elle pour cinq minutes. Elle me donna des instructions pour la méditation, quand bien même je disais que je n'avais pas le temps. 

D'une façon ou d'une autre, je trouvai cinq minutes par jour et je suivis ses instructions. Et je me sentis tellement inspirée par ces cinq minutes. Je faisais ces cinq minutes, et petit à petit de plus en plus. 

La méditation devint ma priorité. Je voulais méditer autant que je le pouvais. J'arrivai à trouver de plus en plus de temps pour méditer et bientot je méditais plusieurs heures par jour, pendant la nuit, parfois toute la nuit après avoir fait mon travail. Je trouvai l'énergie et le temps que je ne savais pas que j'avais." 

 Sudipti Barua


dimanche 5 janvier 2014

170 000 décès chaque jour sur Terre - Un témoignage inspirant sur la façon de quitter ce monde


Il y a environ 170 000 décès chaque jour sur Terre  (voir le site Population mondiale)

Combien ont la chance de quitter ce monde en pratiquant comme Ani Tsultrim Palmo ? Quelle opportunité  d'être  en contact avec le Dharma et d'avoir ce témoignage inspirant.





Par une tournure inattendue d'événements ou de connexions karmiques, je me suis retrouvé à être la seule personne physiquement présente avec Ani Tsultrim Palmo au moment où elle est décédée. Je veux partager un peu de ce que j'ai observé lors de derniers moments d'Ani Palmo. Beaucoup de gens qui la connaissaient ont dit combien Ani Palmo était dans la vie une pratiquante et une enseignante puissante, et je peux confirmer que dans la mort, elle ne l'a pas moins été.

Ce que à quoi j'ai assisté dans la matinée du mardi 19 Octobre 2010 a été le passage d'une pratiquant bouddhiste du genre le plus déteminé, dont la foi, la détermination et l'engagement envers le Dharma n'ont pas faibli, même au milieu de ce qui était sûrement les circonstances les plus difficiles qu'elle ait eu à affronter.

Ani Palmo est morte en écoutant un enregistrement que Ani Pema Chodron avait fait spécialement pour elle du Livre des Morts Tibétain. La section qu'elle écoutait était les instructions sur la mort, le lâcher-prise des attachements à cette vie et la détente dans l'espace de la mort et de la nature vide et lumineuse de l'esprit. 

Bien que Ani Pema n'était pas été physiquement présente dans la salle, avec sa voix guidant Ani Palmo avec amour à travers chaque étape du processus de la mort, c'était vraiment comme si Ani Pema était présente - même plus que moi - tenant Ani Palmo par la main et la guidant avec toute son habileté, et j'étais simplement là pour en témoigner.

Quand je suis entré dans la chambre d'hôpital ce matin-là, moins de deux heures avant sa mort, Ani Palmo était encore consciente et elle parlait avec une grande urgence dans ce qui semblait être sa langue maternelle polonaise, bien que ce soit difficile à dire. Je pense que j'ai pris d'abord ce qu'elle disait comme n'ayant plus de sens, et je n'ai pas trop essayé de la suivre. Mais après quelques minutes, j'ai reconnu clairement plusieurs des mots qu'elle disait: «Om Ah Hum!" Et alors j'ai commencé à chanter le mantra "Om Ah Hum Vajra Guru Padma Siddhi Hum" pour elle. 

Ani Palmo s'est alors calmée et a écouté ce mantra pendant un moment, mais deux ou trois fois, elle a renchéri avec un autre "Om Ah Hum!" En fait, ces trois syllabes du mantra de Padmasambhava furent vraiment ses derniers mots prononcés clairement.

Avec le recul, je me rends compte maintenant que Ani Palmo n'était pas en train de parler dans le vide quand je suis entré dans cette chambre d'hôpital, moins de deux heures avant sa mort, elle était en fait en train de pratiquer intensément. 

En dépit de la détérioration complète de son corps, ayant probablement 3% de sa capacité pulmonaire restante, et en dépit de l'incroyable quantité de médicaments qui lui avaient été donnés pour soulager sa douleur, et en dépit de la peur et de l'anxiété qui auraient pu être son sentiment - en dépit de toutes ces choses accumulées contre elle, elle avait encore la force, la clarté d'esprit, la volonté et l'attention à la pratique "comme si ses cheveux était en feu."

Il est dit que l'ouie est le dernier des sens à nous quitter à la mort. Dans ses derniers instants, alors même que ses sens la quittaient et qu'elle n'était plus sensible au toucher, il était tout à fait clair pour moi que Ani Palmo était toujours à l'écoute de la voix de Ani Pema qui la guidait à travers le processus de la mort. 

Lorsque Ani Pema disait le nom de Ani Palmo, elle faisait un son non verbal, comme une reconnaissance ou une réponse. Jusqu'à la fin, j'ai eu la nette impression qu'elle était toujours là, toujours alerte, écoutant et pratiquant comme Ani Pema l'en instruisait. Je sais qu'elle avait écouté cet enregistrement d'innombrables fois, répétant ce moment encore et encore afin que, lorsque l'instant réel allait finalement venir, il serait familier et naturel.

Peu à peu, j'ai commencé à voir des pauses entre deux inspirations de Ani Palmo, et ces pauses sont passées de trois secondes au début, à cinq, puis dix, puis quinze secondes. Puis il y eut un moment où simplement elle ne respira plus à nouveau. Après toute cette lutte contre la maladie et la douleur au cours des dernières années, à ce moment ultime, elle franchit le seuil de la mort d'une manière si paisible que je continuais à attendre qu'elle reprenne une autre inspiration. J'ai attendu quelques minutes avant d'appeler l'infirmière pour confirmer qu'elle était partie. Enfin, la longue et douloureuse lutte d'Ani Palmo avec ce corps physique était terminée.

Être là pour voir à quel point elle a continué à pratiquer jusqu'à la porte de la mort, et sans doute au-delà, et avoir été le témoin de la façon dont sa soeur dans le Dharma et enseignante Ani Pema Chodron l'a si habilement et avec amour guidée à travers le processus de la mort avec le son de sa voix et les instructions de la lignée, cela a été un cadeau et un enseignement profond que je vais contempler pour le reste de ma vie.

Avec amour et gratitude à Ani Palmo et Ani Pema, Dennis Hunter (Zopa Tharchin)




Source : Bouddhisme au féminin n° 16