jeudi 6 juin 2013

Alexandra David-Neel à Kun Bum - Mai 1919

-->
J'étais invitée par les religieuses à aller voir leur ermitage à Nam-Dzong (la Forteresse du ciel). Je m'y rendis, le lama prêtant des animaux. Un jour de marche, route avec des pentes excessivement raides, mais pas mauvaises. La « Forteresse du ciel » justifie bien son nom. C'est un endroit très pittoresque environné de monts en aiguille, de couleur rouge sombre. Des pins embellissent le paysage. Il y a là une fort belle gômpa construite par le défunt lama que celui « des neuf vallées est censé réincarner. Les peintures à l'intérieur sont des plus intéressantes. C'est un monastère de la secte rouge et un monastère sans religieux. Ceux qui s'y rattachent sont des nags-pa aux longs cheveux, mariés pour la plupart et vivant dans leur famille, quelques rares individus parmi eux se retirant seuls en des ermitages. Ce temple possède une bibliothèque magnifique, mais les beaux volumes enveloppés de riches couvertures de brocart demeurent sans lecteurs. Tout à côté du temple, le lama a fait construire une sorte de palais chinois qui, quoique n'étant pas encore achevé, tombe déjà en ruine en maints endroits. C'est là que j'ai logé. Il y a aussi un monastère de la secte jaune et, enfin, assez loin de là, sur une autre montagne, la demeure très simple d'une quarantaine de nonnes jeunes et vieilles. 
Ces femmes ont été charmantes et désirent vivement que je vienne m'installer pour quelques mois chez elles. Ce serait agréable n'était la difficulté de se ravitailler. Un jour, la majorité des religieuses et moi, nous nous sommes hissées sur l'une des aiguilles où il y a deux petits temples. Ascension périlleuse le long de rochers perpendiculaires minuscules. Les bonnes montagnardes m'ont poussée, tirée, presque portée si bien qu'en dépit de mon pied, toujours douloureux, j'ai accompli cette excursion sans trop de peine. Ces femmes sont extrêmement gaies et rieuses. Certaines ont voyagé à pied à travers tout le Tibet. Aphur, seul garçon de notre bande, a égayé tout le monde en chantant et débitant des facéties. 
J'ai aussi à Nam-Dzong fait la connaissance d'une naldjorma, c'est-à-dire d'une femme qui suit le système mystique que les hindous appellent yoga. Le lama avec qui je suis venue de Pékin la tient en haute estime et lui a confié l'éducation de sa fille cadette qui doit devenir religieuse.
Cette femme est fort intelligente et pas mal instruite en littérature tibétaine. Son maître, dont elle est devenue la femme, suivant une coutume assez suivie par ceux de sa secte, est aujourd'hui un vieillard de 75 ans ; elle-même est âgée de 50 ans. Elle m'a prêté plusieurs manuscrits que je vais faire copier. Je l'ai invitée à venir passer quelque temps avec moi à Kum-Bum, mais son vieux mari a besoin de ses soins. 
Ce sont des gens très, très pauvres. Je suppose que le lama, père de la fillette, leur envoie des provisions maintenant que celle-ci vit chez eux, mais la bonne dame elle-même n'a qu'une jupe et un caraco de coton sur elle. Elle paraît très désintéressée, ayant reçu un tout petit présent en argent de moi, elle m'a aussitôt apporté une énorme motte de beurre frais qui valait à peu près ce qu'elle avait reçu.

1 commentaire: