vendredi 22 septembre 2017

Toni Packer : Une vie en point d'interrogation


Toni Packer ne se décrivait pas comme bouddhiste, elle avait laissé derrière elle les rituels, les croyances et la hiérarchie traditionnels du Zen. Mais elle a dédié sa vie à l’exploration de la voie vers l’éveil.
Toni Packer était une perle rare. Je n’ai jamais rencontré un être humain plus sensible et plus tendre qu’elle. Elle était intensément passionnée par ce qu’elle appelait « le travail de l’instant présent, » qu’elle décrivait comme « une sorte d’écoute et d’ouverture profondes qui révèlent le pouvoir intense et le dynamisme de notre condition humaine, » parallèlement à la découverte d’un « silence—immobilité – espace interne/externe, dans lequel il n’y a aucun sens de séparation ou de limitation, intérieure ou extérieure. »
Toni était perspicace et s’exprimait d’une manière qui coupait à travers toutes les formes d’auto-illusion avec une clarté et une simplicité remarquables. Elle aimait écouter et regarder sans réponse ou formule, sans besoin de validation d’une autorité du passé. Tout ce qu’elle disait était frais parce qu’elle écrivait et parlait toujours à partir d’un état d’écoute plein de vitalité. Cette présence écoutante était au cœur de ses enseignements et de son travail.
Née en 1927, Toni, qui était à moitié juive, a grandi dans l’Allemagne d’Hitler. Apparemment, à cause de la prestigieuse carrière scientifique de son père, la famille a été épargnée par l’Holocauste, au moins jusqu’aux tous derniers instants. Mais si la guerre avait continué plus longtemps, ils auraient probablement été conduits vers les camps de la mort. Toni se rappelait clairement des raids aériens durant la guerre, des bombes qui tombaient à proximité, des immeubles en feu et de son père – qu’elle adorait – recroquevillé de terreur dans l’abri. Elle disait souvent que sa rencontre avec la profondeur de l’horreur générée par les hommes avait été le point de départ de sa recherche spirituelle.
Après la guerre, Toni a émigré en Suisse, où elle est tombée amoureuse d’un jeune objecteur de conscience appelé Kyle Packer. Le couple s’est marié et s’est finalement installé près de Buffalo, New York, où Kyle est devenu chef d’un établissement scolaire. Ils ont adopté un fils et, à la fin des années 60, Toni et Kyle ont commencé à pratiqué au Rochester Zen Center. Toni a rapidement grimpé les échelons et on lui a demandé de prendre la direction du centre lorsque son enseignant est parti à la retraite. Mais à l’époque, Toni remettait déjà en question la voie traditionnelle et avait découvert J. Krishnamurti dont la manière de voir les choses et le questionnement concordaient avec les siens. Finalement, en 1981, Toni a quitté le Rochester Zen Center et avec un certain nombre de ses étudiants, a fondé le Genesee Valley Zen Center. Ils ont acheté un terrain dans la campagne de Springwater, New York, à environ une heure au sud de Rochester, ont construit un centre de retraite à partir de rien et peu de temps après le nom a changé pour simplement devenir Springwater Center.
Toutes les formalités traditionnelles du Zen qui semblaient entraver la voie d’une écoute et d’une attention ouvertes ont été progressivement abandonnées et même si elle donnait des enseignements et conduisait des retraites, Toni se décrivait plus comme une amie que comme un maître. Durant les séances assises vous pouviez vous asseoir aussi bien dans des fauteuils ordinaires ou inclinables que sur des coussins de méditation et les discussions ouvertes en groupe faisaient partie de chaque retraite. Il n’y avait aucun rituel ou cérémonie, le jargon et la terminologie bouddhistes étaient remplacés par un langage séculier ordinaire et il n’y avait aucune pratique formelle dans le sens méthodologique habituel.

L’accent était mis sur la conscience, le questionnement, regarder et écouter, être attentif au moment présent, dévoiler et voir à travers les fausses séparations qui semblent nous diviser et nous mettre sous cloche – les images de nous-mêmes que nous protégeons et défendons, les manières que nous avons de nous identifier à certains groupes plutôt qu’à d’autres. Toni remettait tout en question avec l’esprit ouvert et rigoureux d’un scientifique. Elle ne se contentait jamais des conclusions de la veille ou n’arrêtait jamais de regarder les choses avec un œil nouveau. Elle nous invitait à regarder plus profondément dans notre souffrance humaine (colère, peur, dépendances, compulsions, quelle qu’elle soit) et à tout observer avec une curiosité et un intérêt dépourvus de jugement.
Pendant des décennies, Toni a dirigé environ huit retraites par an à Springwater et plusieurs autres chaque année en Europe et en Californie. Elle rencontrait les gens individuellement et ne manquait jamais de répondre aux lettres, elle écrivait des livres, était membre du conseil de surveillance et remplissait les fonctions de directrice du Centre. Elle travaillait sans relâche.
La souffrance n’était pas étrangère à Toni. Après le décès de Kyle, en 1999, Toni a été embarquée dans une descente de quatorze ans de douleurs chroniques sévères et de perte de mobilité croissante. Elle est devenue grabataire durant les dernières années de sa vie. Cela a été le genre de fin que la plupart d’entre nous appréhendent – perdre graduellement sa capacité à faire tout ce que vous aimez et tout ce qui vous a défini, être dépendant des autres, souffrir physiquement. C’est un bon rappel du fait qu’être éveillé ne signifie pas que vous allez vivre dans une béatitude permanente.
L’esprit veut habituellement des réponses rassurantes, qui lui feront se sentir bien, mais au lieu de cela Toni posait des questions. Elle nous invitait à vivre chaque moment tel qu’il était : « Peu importe l’état qui se présente à ce moment, peut-il n’y avoir que ça? Pas un mouvement plus loin, une échappatoire dans quelque chose qui va nous procurer ce que cet état ne nous procure pas ou ne semble pas nous procurer : énergie, entrain, inspiration, joie, bonheur, n’importe quoi. Seulement complètement, inconditionnellement écouter ce qui se passe maintenant, est-ce possible ? »

JOAN TOLLIFSON a fait partie de l’équipe de Toni Packer au Centre de Springwater durant cinq ans.

Source : le magazine - enseignantes célébrées

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